Samedi 29 mai 2021, Gauthier Dorban était l'invité de Fabienne Vande Meerssche, en compagnie d'Olivier Bouquiaux, neurologue. Ensemble, ils ont fondé l'asbl Fit your mind, dont le leitmotiv en dit long sur l'approche adoptée par les deux chercheurs : Soigne ton corps, guéris ton esprit. Retour sur les points essentiels de l'interview.
Retrouvez l'interview intégrale ici.
Deux chercheurs de haut niveau
Enseignant et chercheur à la Haute Ecole Robert Schuman, Gauthier Dorban n'est pas kinésithérapeute. Il a une formation en Sciences biomédicales et pharmaceutiques, avec une spécialisation en immunologie et en neurologie. Après son master, il a décroché un doctorat à l'ULiège, puis un post-doctorat à l'ULiège et à l'Université du Luxembourg.
Avec ses collègues chercheurs et membres de la Commission Mémoires*, il coordonne actuellement la recherche dans la section kinésithérapie à la HERS. Ses travaux portent - entre autres - sur la mise au point de prototypes d'appareils utiles dans la pratique de la kinésithérapie, et notamment un dispositif qui a trait au système ancestral des ventouses dans le traitement des maux de dos, un projet initié par son collègue François Tubez.
Autre invité de l'émission, Olivier Bouquiaux est neurologue, et ses recherches portent sur une approche alternative du soin à apporter aux patients atteints de pathologies neurologiques chroniques. Il s'agit en l'occurrence d'une thérapie par l'exercice physique. ludique et collectif. Et notamment, par la danse pour les patients atteints de la maladie de Parkinson.
Ce qui unit les deux chercheurs, c'est une asbl : Fit your mind, qui concrétise et rend accessible les résultats de leurs travaux.
Soigne ton corps, guéris ton esprit.
La coordination de la recherche à la HERS
Gauthier Dorban donne tous les cours dans la section kinésithérapie qui ont trait à la recherche dans les domaine médical et paramédical. En fonction des choix des étudiants, Gauthier et l'ensemble de ses collègues de la section kinésithérapie les guident dans l'une ou l'autre direction. Ils veillent notamment à ce que les étudiants produisent des travaux de fin d'études originaux. Non pas des travaux exotiques, mais bien des travaux inédits : des choses qui n'ont pas encore été faites.
Il y en a qui sont plus intéressés par la neurologie et les pathologies neurodégénératives, et d'autres qui sont intéressés par des choses plus techniques. Parmi les étudiants en kiné de la HERS, certains ont un bagage précédent et profitent de leur passage en kinésithérapie pour exploiter leurs autres compétences.
Comme Gauthier le confie au micro de Fabienne Vande Meerssche, la coordination de la recherche consiste à donner des impulsions, à trouver des budgets et à encadrer les futurs kinés et les chercheurs. Le Centre de Recherche appliquée de la HERS - le Centre Ressort - finance d'ailleurs une partie des projets, quand il estime que ça vaut le coup. Il permet de développer des projets qui relèvent, la plupart du temps, de la recherche appliquée.
Deux axes de recherche
Avec ses collègues, Gauthier Dorban coordonne deux axes de recherche. L'un concerne l'intérêt des activités physiques dans le traitement de la sclérose en plaques et de la maladie de Parkinson. Des recherches qui sont menées et appliquées dans le cadre de l'asbl Fit your mind...
L'autre axe de recherche implique les ingénieurs du Département Sciences & Technologies de la HERS. Gauthier travaille avec ceux-ci à la mise au point de prototypes d'appareils utiles dans la pratique des kinésithérapeutes. Notamment un dynamomètre adapté, et un système qui permet de gérer la dépression des ventouses dans la thérapie éponyme, un autre projet initié par François Tubez.
Premier axe de recherche : le mal de dos
Précisément, l'un des projets sur lesquels Gauthier travaille a été initié par deux étudiantes en kiné. Il concerne un mal qui touche beaucoup de gens : la lombalgie. Ou dit plus simplement, le mal de dos.
Dans le cadre de cette étude, Gauthier s'est penché en particulier sur la thérapie "ventouse", un projet initié à la HERS par son collègue François Tubez. Cette thérapie existe depuis des milliers d'années.
Une thérapie populaire dans les milieux sportifs
Comme le souligne Gauthier Dorban, la thérapie par les ventouses est très populaire. Elle est très utilisée depuis très longtemps. Il concède cependant que si c'est populaire, ça peut interpeller.
Aux Jeux Olympiques de Rio, par exemple, Michaël Phelps est arrivé dans la piscine olympique avec des traces de ventouses un peu partout sur le corps. Pas mal de commentateurs ont été interloqués, et se sont demandé ce que c'était.
Chez les sportifs, c'est beaucoup utilisé. Et en général, dans le traitement des syndromes douloureux, c'est aussi assez populaire.
Les étudiantes en kiné se sont donc intéressées à la lombalgie. Elles se sont posé plusieurs questions au départ. Elles ont évidemment lu la littérature. Il y avait une étude intéressante qui montrait que dans le cadre de la lombalgie chronique, l'utilisation des ventouses était plus efficace que les anti-inflammatoires.
Par contre, il y a plusieurs sortes de ventouses, et plusieurs façons de les utiliser. Il y a beaucoup de possibilités. Et ça, ca les dérangeait un petit peu. D'autant plus que dans la littérature, on décrit qu'il y a un effet des ventouses à partir d'une certaine dépression, mais qu'il ne faut pas non plus aller trop loin, sinon, c'est contre productif.
L'efficacité des ventouses : une question de dosage
Elles se sont dit : mais comment va-t-on faire pour être précises dans le protocole qu'on met en place et pour maîtriser la fameuse dépression ?
Elles sont parties sur le prototypage d'un appareil qui répondait aux différentes caractéristiques qu'elles recherchaient. Il s'agissait de déterminer et de contrôler une dépression efficace, et surtout, la maintenir durant le temps voulu. En fonction de l'élasticité de la peau du patient, on ne peut effectivement pas procéder d'une manière unique pour obtenir un résultat efficace. Les ingénieurs du Département Sciences & Technologies de la HERS ont développé un dispositif qui permet cette régulation de la dépression dans les ventouses.
La lombalgie, un mal très répandu...
Les maux de dos touchent beaucoup de monde : 23 % de la population générale. Ces maux de dos sont provoqués par toute une série de facteurs : une mauvaise position, une posture inadéquate... On porte des charges trop lourdes, on ne plie pas ses genoux, etc. Tout ce qu'on sait mais qu'on fait quand même... On parle de lombalgie chronique lorsque la douleur se prolonge au-delà de trois mois.
Petite parenthèse : le télétravail n'a sans doute pas, pour certains, arrangé les choses... Les sièges de la maison ne sont pas adaptés. C'est assez rare d'avoir des sièges ergonomiques, et en plus, il faut savoir les utiliser correctement. La position assise n'est pas du tout idéale pour le dos. D'autant plus qu'une fois qu'on est assis, on n'est pas en mouvement. Et ne pas faire participer les muscles du dos, ça participe grandement aux douleurs.
Surtout chez les routiers !
Chez les chauffeurs routiers, auxquels se sont intéressés les étudiantes et ce projet de recherche, on rencontre 74 % de personnes qui souffrent du dos, soit trois fois plus que la normale. En cause, la position assise pendant de longues heures dans les camions, et les vibrations de la route. C'est une profession qui souffre particulièrement de lombalgies, et c'est une des raisons pour lesquelles nos étudiantes se sont intéressées à cette population.
Cette étude et cette recherche ont donc porté sur l'influence de la dépression à l'intérieur des ventouses sur la douleur du dos chez les chauffeurs routiers.
L'efficacité des ventouses à l'épreuve de la science
Pour mener à bien cette étude, il a fallu d'abord recruter des chauffeurs qui souffrent de lombalgie chronique. Les étudiantes ont choisi 18 personnes réparties en trois goupes.
Les étudiantes ont voulu déterminer la dépression la plus efficace et ont choisi trois dépressions particulières. Elles ont ensuite scindé les chauffeurs routiers en trois groupes. Chaque groupe a été traité par ventouse une fois par semaine pendant 5 semaines, avec un temps d'aspiration qui était le même pour tous : 5 minutes.
La dépression appliquée d'un groupe à l'autre était très différente, allant de très faible à assez élevée. Le paramétrage était absolument identique dans les trois groupes, sauf la dépression.
Le groupe n°1 avait une dépression qui était à la limite de l'efficace qui est décrit dans la littérature. Le troisième groupe, par contre, avait la dépression la plus forte, qui était proche de la limite conseillée.
Au final, ce sont les intensités les plus élevées qui ont apporté la meilleure amélioration à court terme. Il faut signaler que les étudiantes ont apporté deux nouveautés. D'une part, avec les ingénieurs de la HERS, elles ont amené un appareil qui n'existait pas auparavant, et qui permet d'être très précis dans le réglage de la dépression.
D'autre part, elles se sont intéressées à la population des chauffeurs routiers et ont initié une étude pilote. Les résultats de l'étude ne permettent certes pas à ce stade de tirer des conclusions définitives, mais l'expérience sera très probablement rééditée avec des effectifs plus importants.
D'autres prototypes développés par les ingénieurs de la HERS
La collaboration avec le Département Sciences & Technologies de la HERS ne s'arrête pas là. Outre ce système de ventouses, Gauthier Dorban travaille aussi avec les ingénieurs sur d'autres prototypes d'appareils qui pourraient être utiles dans la pratique des kinés.
Un de ces appareils est le dynamomètre numérique portatif. De nouveau, ce dispositif est né du travail d'un étudiant.
En cabinet, les kinés font très régulièrement du bilan musculaire. C'est un travail qui est fait en routine. Pour réaliser ce travail, différents outils existent. On peut faire une évaluation qualitative, mais la fiabilité n'est pas très bonne. On peut aussi faire une évaluation avec un appareil d'isocinétisme, qui est très fiable, mais qui est tout-à-fait intransportable, et qui coûte extrêmement cher. Restent les dynamomètres. Il y en a déjà sur le marché. Cependant, ceux qui existent ont un certain nombre de qualités, mais aussi des défauts.
Une solution qui pèse dans la balance !
Cet étudiant était un peu frustré. Il voulait faire certains tests sur les patients qui n'étaient pas accessibles avec un dynamomètre classique, et il a réfléchi... Un appareil qu'on trouve dans un cabinet de kinésithérapie de façon quasiment systématique, et aussi dans tous les foyers, c'est un pèse-personne ! Et il fonctionne selon le principe du dynamomètre !
Il a imaginé un dispositif mécanique utilisant le pèse-personne pour faire le bilan musculaire des patients. L'idée était très bonne. Le dispositif qu'il avait mis en place était à la limite du transportable, et c'était beaucoup de bricolage. Mais l'idée méritait qu'on aille plus loin ! À la Haute École, le Département Sciences & Technologies, et en particulier la section d'ingénieurs industriels spécialisés en mécatronique a développé un outil qui propose les fonctionnalités requises.
Nos collègues et leurs étudiants ont travaillé sur le projet et, à l'issue d'un premier travail d'étudiant, ils ont construit la version 1 du dynamomètre. Celui-ci est connecté et portatif. On peut le mettre dans une petite valise, et il permet de faire du bilan musculaire. Il peut tester la force musculaire à la fois en traction et en compression. Quasiment tous les groupes musculaires sont accessibles.
Le système permet de faire un travail global sur le patient, au cabinet comme en soins à domicile. Il faut le dispositif et un ordinateur, puisqu'il y a une interface qui permet de faire l'enregistrement des prises de mesure. C'est un des gros avantages par rapport à ce qui est sur le marché actuellement.
Gauthier le souligne, on peut faire une acquisition en direct des prises de mesure, et pas uniquement des forces maximales. C'est un projet qui avance à bon train. Il y a eu des modifications qui s'imposaient suite à l'utilisation en conditions réelles, et le prototype 2 est en cours d'élaboration. Des kinésithérapeutes ont déjà marqué leur intérêt pour cette deuxième version.
L'activité physique et ses effets dans les pathologies neurologiques
Un autre axe de recherche qui intéresse Gauthier est l'effet de l'activité physique sur des pathologies comme la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson.
C'est ici qu'on peut vraiment faire le lien entre sa formation en Sciences biomédicales et pharmaceutiques, et cette spécialité en immunologie et neurologie. Les choses se rejoignent...
Depuis bientôt dix ans, on s'intéresse à l'intérêt de l'activité physique dans les pathologies neurologiques chroniques. En particulier la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques, souligne Gauthier. À ce sujet, il confie que l'activité physique est un peu plus populaire chez les patients qu'elle ne l'était auparavant. Ça n'était pas du tout le cas il y a 10 ou 20 ans. On disait plutôt au patient : reposez-vous, ne faites pas d'effort.
Pour prendre l'exemple des patients atteints de sclérose en plaques, on s'est rendu compte que la sédentarité totale, ou le fait de ne pas avoir d'activité physique accélérait leur déconditionnement physique et accentuait les symptômes de fatigue et de dépression.
Maintenant, au contraire, il y a énormément de littérature qui montre que proposer une activité physique régulière et constante aux patients neurologiques permet, à tout le moins, de maintenir un niveau fonctionnel intéressant.
Des activités physiques adaptées
Ce sont des activités physiques adaptées aux soucis de chacun et encadrées par des professionnels : des kinés, des danseurs... Il ne s'agit pas à proprement parler d'un traitement, comme peut l'être une séance de soins ou de rééducation, mais plutôt d'un atelier.
Pour l'instant, ce n'est pas encore validé comme traitement en Belgique. Dans d'autres pays, c'est le cas. Un kiné peut très bien y organiser une séance collective ou individuelle d'activité physique adaptée. L'objectif n'est pas de faire des patients neurologiques des marathoniens, bien entendu. Pour l'instant, en FWB, c'est vraiment un traitement de complément.
Comme ce n'est pas officiellement un traitement, la personne qui souffre d'une affection neurologique doit décider elle-même de participer à ces ateliers. Elle ne doit pas passer par une prescription médicale. Cela se fait sur base volontaire. Ceci dit, de plus en plus de neurologues recommandent aujourd'hui à leurs patients de participer à des activités physiques encadrées par des gens qui ont fait une formation spécifique. Ce peuvent être des kinés, des médecins ou des profs d'éducation physique. Mais aussi des danseurs, qui ont fait une formation en physical therapy ou en danse adaptée pour les patients parkinsoniens. Les danseurs peuvent suivre une formation spécifique pour prendre en charge les patients parkinsoniens.
Il y a des ateliers de marche sportive en extérieur, de marche nordique adaptée et des ateliers de danse adaptée. La danse est réservée aux parkinsoniens. Par contre, pour les autes activités, on peut faire des groupes mixtes, avec d'autres pathologies. Ce qui importe, c'est que chacun puisse suivre la séance de façon adéquate.
Un axe de recherche qui fédère les partenaires
La HERS n'est pas seule engagée dans cet axe de recherche. Le Centre Neurologique et de Réadaptation Fonctionnelle de Fraiture (CNRF), l'asbl Fit your mind, l'ULiège et la section de recherche kinésithérapie de la HERS travaillent de concert pour faire avancer la recherche.
Chaque institution a sa partie de prédilection. À la HERS, les pathologies neurologiques chroniques intéressent beaucoup les étudiants. En particulier la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques, puisqu'il y a un pourcentage non négligeable de la population qui est touché par ces pathologies. Les étudiants sont donc demandeurs pour réaliser des études cliniques ou des essais thérapeutiques sur ce type de patients.
Au CNRF, la prise en charge est spécialisée dans ce type de patients, et ils ont accepté plusieurs fois de prendre les étudiants de la HERS sous leur aile pour réaliser leurs travaux.
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Avec cette interview que nous avons volontairement abrégée, Gauthier Dorban montre, à l'instar de ses collègues, la très haute qualité de l'enseignement de la kinésithérapie en Province de Luxembourg... et la capacité des ingénieurs de la HERS à trouver des solutions innovantes et utiles aux professionnels. Félicitations à tous !
* Membres de la Commission Mémoires de la section kinésithérapie de la HERS : Astrid Van Belle, Catherine Staudt, François Tubez, Denis Jacquemin, Philippe Maquet, etc.